Utiliser les "nudges" pour favoriser une alimentation plus durable
Cet article est une introduction aux nudges comme catalyseurs de changement de comportement chez le consommateur. Je m’intéresse en particulier au secteur alimentaire et aux actions qui peuvent être menées pour favoriser une consommation de nourriture plus durable. Cette recherche s’appuie notamment sur le travail de Lehner et al. (2016) qui ont répertorié plusieurs scénarios d’utilisation des nudges pour encourager un comportement consommateur plus durable.
Mais d’abord, qu’est-ce qu’un nudge ?
Un nudge, qui peut être traduit par “coup de pouce”, est une technique visant à orienter les choix d’un individu sans coercition. Un exemple fameux est celui de la mouche sur l’urinoir.
Le nudge est un outil issu de l’économie comportementale, et notamment du travail du prix Nobel d’économie 2017 Richard Thaler. De ce fait, contrairement aux incitations économiques classiques, il ne part pas du principe que les individus sont parfaitement rationnels et ne se base pas sur une modification du prix (comme une taxe). Au contraire, il profite des biais cognitifs identifiés par l’économie comportementale pour développer des mécanismes d’incitation innovants.
On peut diviser les « nudges » en quatre familles (Lehner et al., 2016) :
- Simplification et présentation de l’information
- Modification de l’environnement physique
- Changement de la politique par défaut
- Utilisation des normes sociales
L’avantage des nudges c’est qu’ils ne restreignent pas les choix du consommateur autant que d’autres politiques, la norme (interdiction pure et simple de circuler en voiture diesel) ou la taxe (taxe carbone sur l'essence).
Pourquoi le nudge peut être un outil efficace pour changer les habitudes alimentaires ?
Il existe trois grands postes de consommation des ménages qui a eux seuls représentent 75 à 80% de l’impact environnemental des ménages. Ce sont le logement (en particulier le chauffage et la climatisation), le transport et l’alimentation (notamment la consommation de viande et de produits laitiers) (Watson et al., 2013). Le changement des habitudes alimentaires est ainsi une priorité pour réduire l’impact environnemental des ménages.
Or, l’alimentation est très largement un processus non réfléchi, s’appuyant sur des habitudes (Gronow and Warde, 2001), on pense notamment aux achats en supermarché. Cela en fait une cible de choix pour les nudges.
Simplification et présentation de l’information
Un exemple assez classique d’utilisation de l’information pour rediriger la consommation vers une alternative moins néfaste pour l’environnement est illustré par la chaine de fast-food suédoise Max. En présentant une étiquette carbone sur tous leurs burgers, ils ont constaté une augmentation de la vente des burgers avec une empreinte carbone inférieure à la moyenne de 16% (Cooke, 2012). C’est le principe de l’étiquetage informatif, souvent associé à l’impact sur la santé (étiquetage nutritionnel), il peut également permettre d’informer sur l’impact environnemental des produits.
Un autre exemple moins classique s’appuie sur un concept central en économie comportementale, l’agent dispose d’une capacité d’attention limitée. Cela signifie qu’il n’effectue pas toujours des choix rationnels, car il n’est pas capable de prendre en compte l’ensemble des informations à sa disposition. Ainsi dans une expérimentation, des chercheurs ont découvert qu’ajouter à intervalles réguliers des chips colorées en rouge dans un tube (packaging type ‘Pringles’) permettait de réduire de 50% la consommation de chips. Les chips colorées servent de repères visuels de la progression de la consommation, et forment ainsi une information plus marquante qui invite l’agent à arrêter de consommer et à reporter la consommation dans le futur (Oullier et al., 2010).
Enfin, une expérimentation avec des adolescents dans une cure d’amaigrissement a montré que l’utilisation de verres larges et petits pouvait augmenter de 88% la consommation de soda par rapport à des verres longs et étroits. Ainsi, des verres longs et étroits peuvent diminuer la consommation de soda (Wansink and Van Ittersum, 2003). On peut de nouveau suspecter l’influence de l’attention limitée, l’agent régule sa consommation en fonction de la baisse du niveau de soda dans le verre, sans prendre en compte la largeur du verre. Ainsi, il consomme davantage avec un verre plus large.
L’influence de la taille
Wansink s’est également intéressé à l’impact de la taille des contenants sur la quantité de nourriture consommée. Il a montré qu’un plus grand bol conduit à une plus large portion de céréales, qu’une plus grande cuillère augmente la consommation de médicament contre la toux, ou encore qu’un paquet plus grand augmente la consommation de snacks (Wansink, 2004).
Des études dans des buffets à volonté ont montré que la réduction de la taille des assiettes réduisait l’apport total en calories ingéré ainsi que le gaspillage (Kallbekken and Sælen, 2013).
Ainsi jouer sur la taille des contenants peut permettre de réduire l’apport total de calories et la quantité de gaspillage alimentaire.
Normes sociales et comportements attendus
L’environnement social influence grandement le type de nourriture et la quantité que nous consommons. Plusieurs études affirment que la quantité de nourriture ingérée augmente avec le nombre de personnes autour de la table (de Castro, 2000; de Castro and Brewer, 1992; Wansink, 2004). Ainsi, un repas partagé avec une personne augmente de 33% la quantité de nourriture, et un repas avec 7 personnes ou plus résulte en un doublement de la portion.
Une manière de créer une norme sociale est d’indiquer explicitement le comportement idéal attendu de l’individu. En plaçant des panneaux indiquant qu’il était préférable de revenir à plusieurs reprises au buffet plutôt que de se servir beaucoup une fois, Kallbekken and Sælen (2013) introduisent un indice sur le comportement attendu (« Welcome back ! Again ! And again ! Visit our buffet many times. That’s better than taking a lot once »). Cet indice a résulté en une baisse de 20,5% du gaspillage alimentaire.
Rediriger la consommation
Ces études, certes très intéressantes, nous montrent surtout comment limiter la consommation. Or, le grand défi pour une alimentation plus durable est de rediriger la consommation. L’immense priorité étant évidemment de réduire la consommation de viande.
Un des lieux privilégiés pour influer sur le comportement du consommateur est la restauration. Il est notamment possible de jouer sur la visibilité des items dans un menu. Une étude dans deux restaurants universitaires a montré que changer l’ordre du menu permettait d’augmenter la part de repas végétariens vendus de 6%. D’autant plus intéressant, cet effet a été persistent après que le traitement soit stoppé, avec une part de menus végétariens vendus qui est demeuré 4 points supérieurs à la situation initiale (Kurz, 2018).
Cette intervention entre dans la première catégorie de nudges, on joue sur la présentation de l’information.
Une idée personnelle se base sur un changement de la « politique par défaut » (troisième famille de nudges). Cela consisterait à proposer un menu avec un plat principal végétarien, avec l’option d’avoir un autre plat à la place qui demande un surcoût (peu élevé). On sait que l’option par défaut est dans plusieurs scénarios fortement prescriptive, il serait intéressant de voir l’effet d’une telle intervention.
Pour conclure
Il convient de rappeler que la consommation de plats végétariens dépend fortement des comportements passés (Bacon and Krpan, 2018). Ainsi l’éducation sur la nécessité de changer nos habitudes alimentaires demeure la principale clé du développement d’une alimentation plus durable.
Enfin, afin d’explorer une possibilité tout à fait différente sur les solutions pour une alimentation durable, je vous invite à écouter le podcast Freakonomics sur le future de la viande : The Future of Meat.
Bibliographie
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Bacon, L., Krpan, D., 2018. (Not) Eating for the environment: The impact of restaurant menu design on vegetarian food choice. Appetite 125, 190–200. https://doi.org/10.1016/j.appet.2018.02.006
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Cooke, S. van G., 2012. Why Going Green Can Mean Big Money for Fast-Food Chains. Time.
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de Castro, J.M., Brewer, E.M., 1992. The amount eaten in meals by humans is a power function of the number of people present. Physiol. Behav. 51, 121–125. https://doi.org/10.1016/0031-9384(92)90212-K
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Kurz, V., 2018. Nudging to reduce meat consumption: Immediate and persistent effects of an intervention at a university restaurant. J. Environ. Econ. Manag. 90, 317–341. https://doi.org/10.1016/j.jeem.2018.06.005
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